
Le premier long métrage de Max Ngassa, comme une odeur de conte dans un drame fantastique sur fond d’amours.
Ekema, pêcheur dans un petit village côtier du sud-ouest Cameroun est amoureux de Eposi. Mais il a la concurrence de Njié, le plus grand pêcheur du coin et vainqueur depuis plusieurs éditions du concours de pêche. Bien qu’aimé par Eposi, Ekema peine à s’imposer du fait de son indigence et de son incapacité à réaliser de bonnes affaires en pêche. Emeka fait la rencontre Kuvah, un génie des eaux qui, contre son amour, lui promet tout ce qu’il veut, à savoir la prospérité financière et l’ascension sociale (qui le conduira à l’amour d’Eposi). Grâce à Kuvah, Ekema (à son insu) gagne le concours de pêche et devient le fournisseur officiel de poisson aux personnalités du village et bien sûr gagne encore plus les faveurs d’Eposi. Quand il le réalise, grisé par le succès, il est contraint de pactiser avec Kuvah. Mais très vite, il se retrouve vite pris entre les deux femmes: la plus belle femme du village et le génie des eaux. Il faut choisir…

Planté dans le décor féérique du Sud-ouest Cameroun, Kuvah est un film qui a des relents de conte, avec son personnage fantastique venu du monde des eaux. Tout de suite, on est pris dans les tripes par la quiétude et la beauté du paysage dans lequel est planté le film, un village de pêcheurs du sud-ouest Camerounais. Si le film débute dans une église en pleine séance de prêche, il ne tarde pas à sortir sur la beauté du paysage, des plans, la chaleur des images -très colorées- et une certaine quiétude qui vous laisse un peu de temps pour prendre le pouls. mais bien vite, le tableau est planté et la pirogue de l’histoire jetée à l’eau. Et pour mieux ancrer l’histoire dans cet environnement, le film est tourné en pidgin english local et en anglais (minoritaire). Ce qui de manière subtile participe à l’esthétique du film: les gestes, les mimiques, les expressions des comédiens sont alors plus vrais que s’ils avaient dû s’exprimer dans une langue trop soutenue, déconnectée de l’espace. Le résultat dans ce genre de cas est qu’on a des comédiens qui s’écoutent dire leurs textes, parfois trop savamment écris. Et alors, le jeu est faussé. Max nous en a épargné et on vit bien cette subtilité linguistique.
On retrouve à la baguette derrière ce film, Syndy Emade en double casquette d’actrice (dans le rôle de Kuvah) et de coproductrice. Une oeuvre de plus dans son catalogue dans le costume de productrice. Et cette fois, en duo avec Max Ngassa.
Bien que le film soit planté dans un entre deux (village de pêcheur comme figé dans le temps, mais avec des relents de modernité…), on regrette un peu de ne pas vivre jusqu’au bout la pêche en elle-même, le fameux concours (de pêche) qui voit le succès d’Emekah est plus suggéré que vécu: ç’aurait été d’une beauté ultime. Les pêcheurs allés à une épreuve aussi attendue et annoncée reviennent aussi frais qu’ils sont partis, sans traces de l’épreuve sur les corps… Un peu plus d’action ne nous aurait pas fait plus de mal… Là n’était peut-être pas le discours du réalisateur, mais il faut parfois aller au fond des choses, lécher les abords et les à-côtés qui apportent du relief au discours des images et au substrat culturel dont on s’inspire. Peut-être plus facile à dire qu’à faire, de tourner en haute mer avec un matériel pas adapté… mais ça nous manque, la culture locale qui aurait pu, plus encore, rehausser en couleurs ce petit village et le film.

Max Ngassa est resté bien sage avec ce film, évitant presqu’expressément d’emballer les choses: caméra sur pied, alternant plans larges et plans serrés pour mieux restituer les émotions ou planter le décor, faire respirer et surtout apprécier le cadre idyllique. La caméra embarquée n’est d’usage que lorsque Kuvah est aux prises avec les villageois. Oui, en effet, au risque de se répéter, il nous a dit un conte. Mais il reste dans le naturel: la voix de l’esprit Kuvah n’est pas modifiée, pas d’effets sonores ajoutés…. On est pas dans le Hansel et Gretel ou dans Saloum (Jean Luc Huberlot, 2022), deux films qui pourraient sur un angle ou sur un autre donner des pistes d’esthétique à explorer pour comprendre les choix du réalisateur.
Bien qu’on soit dans un film aux odeurs de compte et de fantastique, le réalisateur n’a pas ostensiblement assumé le(s) genre(e) ou sous-genre(s). Il s’est affranchi des codes, n’y a pas mis plus d’action que ce que cela pouvait suggérer. Il a préféré rester dans une vision dramatique, focus sur ses personnages centraux et leur destin commun; oui, parce que rien n’est hasardeux, tout est lié à une origine, tout mène à Kuvah. Bref, le Max Ngassa de Tikaya (2019) n’est pas de sortie dans ce film, il s’est fondu dans l’histoire tout en décidant de garder la main mise sur le point de vue qui nous semble être le sien, plutôt que celui d’un personnage en particulier.

Le casting n’y est pas allé de main morte avec un Ik Ogbonna des grands jours:
Le casting et le jeu des acteurs est, avec le scénario, l’une des forces de ce film: Syndy Emade, qui incarne Kuvah, porte à merveille ce personnage campé entre la beauté, le mystère et le mystique. A ses côtés, on a un bon Valery Nchifor (Emekah) et son rival Ik Ogbonna (Njie), avec la femme de la discorde portée par Belinda Effah. Mention spéciale pour Ik Ogbonna qui dans son genre, son jeu donne tout le sens qu’il faut à l’antagoniste et relève d’un cran encore le niveau du film. Et puis, il y a les seconds rôles où on découvre Alain Tenzon, un visage montant du cinéma Camerounais et Landry “Président Tchop” Lemogo. On ne saurait ignorer la présence irradiante de Godiz Fungwa, que nous particulièrement à Septième Magazine, attendons toujours à l’affiche en premier rôle d’un film. Un immense talent.
Kuvah, est donc un film calme et sage qui se laisse porter calmement par les événements. Le scénario mène ses événements, plante des bouts de faits qui, au moment où on commence à se poser des questions sur la direction qu’on prend, se recollent et les pièces du puzzle révèlent le vrai visage du récit. Et loin de faire un film froid, Max Ngassa est resté sur un ton chaud qui, malgré le drame qui se produit, ne crée pas forcément d’alerte dans votre esprit et continue de vous faire croire que vous êtes dans une histoire d’amour… Eh oui, c’est une histoire d’amour dont il est question, mais lequel? … Nous n’en dirons pas plus pour ne pas spoiler. Et comme pour rester dans cette nature hybride, les musiques du film ne sont pas allées puiser dans le répertoire local. Le générique de fin puise dans la pop et le rock.
Une histoire d’amour pour une leçon de vie:

Kuvah est une oeuvre qu’il faudra obligatoirement lire sur deux voire trois couches parce que tout, pour ne pas dire l’essentiel du discours, là où tout prend tout son sens, est dans le troisième acte. Les masques tombent et on se rend bien compte que tout n’était pas aussi simple qu’on le pensait. Ce film au-delà de faire triompher l’amour, est un film qui tire la sonnette d’alarme face à une jeunesse de plus en plus lancée dans la richesse rapide et sans effort. Njei tout comme Ekema ont pactisé avec un génie des euax qui, elle-même à la recherche de l’amour et de son bien perdu, a trouvé des esprits faibles et fertiles pour qu’elle y prenne place. Entre les portefeuilles magiques, les ventes d’organes, la drogue et certains « influenceurs » qui se lancent dans des traffics de drogue, l’opération porti-porta etc., les jeunes particulièrement sont exposés à toutes sortes de dérives.
L’amour, le vrai, c’est celui qui est peint dans ce film; l’amour de jeunesse à travers Eposi qui se dévoue corps et âme à celui que son coeur a choisi, loin d’être grisée par les cadeaux de Njei.
Et puis, il y a cette reconnexion avec les forces ancestrâles que le réalisateur appelle de tous ses voeux. Au contact de l’occident, des génies et des forces qui autrefois cohabitaient plus ou moins paisiblement avec les hommes ont été repoussés, chassés et ssytématiquement diabolisés. Le Ngondo chez les Duala et autres cérémonies à travers le Cameroun notamment montrent bien que ces us et coutumes n’ont pas totalement disparu. Il est donc aussi du devoir des cinéastes de les faire revenir au bout du jour. Et donc, au-delà du cinéma des salons meublés, faire voir une autre Afrique, authentique et profonde.
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