Avec Innocent(e), Lea Malle saute le pas du premier long métrage. Un film bien sage peut-être un peu trop…
Une inspectrice de police partagée entre sa vie de famille et son travail, enquête sur l’agression d’une élève par un adulte dans un motel. La scène de crime porte tous les signes du crime rituel qui a mal tourné pour l’agresseur. Mais alors que l’enquête semble bouclée et le procès classé, l’inspectrice a comme le sentiment qu’elle est passée à côté de la vérité…
Tel est l’univers dans lequel Frank Thierry Lea Malle nous transporte pour son premier long métrage. Tourné à l’est du Cameroun, le film reçoit une de ses empreintes indélébiles : des passages de dialogues en langue locale de cette région du Cameroun, en l’occurrence une voix off issue des informations à la radio. Lea Malle sans verser dans du féminisme primaire est resté dans sa logique, son autre empreinte (Hands, Mes vampires, Point de vue…) : ce sont des femmes qui portent l’intrigue.
Virginie Ehana campe donc le rôle principal de ce film. A ses côtés de grosses pointures du petit et du grand écran camerounais, sublimés par la direction des acteurs du jeune réalisateur qui est allé au charbon avec des acteurs rodés comme Rigobert Tamwa alias Eshu, Daniel Leuthe et Axel Abessolo. Et de là sortira des scènes majeures comme ce duel de maîtres qui oppose à la barre Daniel Leuthe et Tatiana Matip. Cette dernière, un des plus grands espoirs de sa génération qu’on n’avait plus vu à un tel niveau depuis un moment. Et c’est un euphémisme. Ce duel de maîtres, un inédit dans le cinéma camerounais, plein d’intensité et qui trahi toute l’envergure de ces comédiens. Le film (re)met au bout du jour des (jeunes) espoirs du jeu d’acteur. Ce serait sans doute une faute de ne pas citer Fidèle Ngo Bayigbedeg, qui incarne la victime et partage d’affiche avec Virginie Ehana. Cette dernière un peu amorphe tout de même, portant un peu sur elle le poids du monde, de sa condition de femme dans un foyer avec un mari tout ce qu’il y a de macho et un milieu professionnel encore plus dominé par les hommes. Cette mollesse à la limite contraste un peu avec la présence naturelle de l’actrice et le rôle fort qu’elle porte dans le film. Un contre-pied émotionnel qui lui donne un autre visage, une autre performance et ne l’empêche tout de même pas de mener à bien son enquête, nageant à contre-courant, de tenir tête à ses « bourreaux » (le mari et le patron), faisant le dos rond pour parvenir sans tambour ni trompette à résoudre cette énigme qui a mené tout le monde par le nez sur le chemin qui semblait le plus logique.
Parlant d’enquête, le scénario se déroule tout doucement, lentement. Si le scénario nous ramène un revirement quand on pense tout clos, il ne s’encombre pas d’artifice ou de tournures très compliquées. Avec une écriture cinématographique bien sage, Lea Malle ne s’est pas éloigné de ses fondamentaux et n’a pas pris de risque. Sa mise en scène presque trop classique ne plonge pas profondément le téléspectateur dans un l’univers quelque peu noir du thriller qu’il nous promet au départ. Quelques effets d’écriture, de mise en scène auraient peut-être suffi à gommer le diable qui s’est juché dans les détails. La seconde partie de l’enquête, va un peu trop vite, une chute libre après une ascension lente et périlleuse tant on a vécu des émotions. Si des éléments de préparation infimes ont été posés avant le paiement, la piste familiale semble un peu trop évidente. Le récit des sœurs a-t-il tué les pistes et trop dit en mots ce qu’une autre construction fort imagée aurait mieux révélé avec son lot d’émotion et une autre approche cinématographique ? Dommage, pourrait-on se dire. Dommage aussi que l’introduction des avocats n’ait pas été à la hauteur du duel violent qu’ils allaient se livrer à la suite… Oui, Lea Malle a manqué d’un peu de folie, d’un peu d’audace pour s’inscrire véritablement dans un film de genre dans toute sa profondeur. Il a sans doute trouvé son aise dans un film qui se trouve entre le film d’auteur, sombre avec des éclairs de comédie sans comique qui zèbrent ce ciel qui couvrent les fausses innocences et culpabilités.
La photographie, les cadres et le son sont une force indéniable de ce film. Ils restituent dans l’environnement, la couleur de ce film. Ce qui permet sans doute aux Camerounais et aux Africains de se reconnaître dans ces images de chez eux.
Le film s’inscrit dans une thématique commune aux pays d’Afrique centrale et du Cameroun en particulier : les crimes rituels. Mais l’auteur a été assez sage pour ne pas nous servir un des récits faussement fictifs aux relents de reportage raté, et qui ont souvent fait cataloguer les films africains et camerounais.
Lea Malle a donc franchi le pas avec un film qui, pour ceux qui en doutaient encore, fait de lui un auteur avec qui il faut compter. Innocent(e) a assouvi la soif de ceux qui attendaient cette première œuvre. Le film a tenu la promesse des fleurs et connaîtra sans doute une carrière fort méritée.
Paul Stevek
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