Gérard TEDOM, journaliste et producteur d’une émission de cinéma fait son analyse de la situation au lendemain de l’édition 27 de la fête Burkinabé du cinéma en Afrique, alors que la polémique est née sur les réseaux sociaux après un énième retour bredouille de la délégation camerounaise. L’essentiel est-il toujours de participer? Quel est l’état des lieux? Qui doit faire quoi? Le journaliste donne son « humble avis ».
Le 237 au 27ème FESPACO: mon humble avis!
Les lampions se sont éteints sur la 27ème édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ougadougou (en abrégé, FESPACO), samedi dernier, 23 octobre.L’Etalon d’Or de Yennenga, la plus somptueuse récompense du festival a été décerné au long métrage somalien » La femme du fossoyeur » (<<The Gravedigger’s Wife>>), réalisé par Khadar Ayderus Ahmed, âgé de 40 ans, dont c´est le premier film. Selon le mauritanien Abderrahmane Sissako, qui le présidait, il n’y a pas eu de débat au sein du jury qui, à l’unanimité, a plébiscité le film. Sissako poursuit: » Un film ne doit pas prétendre des choses, et ce film ne prétend pas. Ce film raconte l’humanité de façon touchante, raconte la pauvreté mais raconte surtout une histoire d’amour. C’est ça qui est beau, c’est ça qui est fort. Et venant d’un pays difficile, qui souffre, malgré les difficultés de la Somalie, lorsque vient un film comme ça, je trouve que c’est important pour le continent africain, pour le cinéma africain ». Une belle victoire donc pour ce film qui avait déja été présenté à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes, avec un intérêt soutenu.Rappelons-le: à ce jour, le Cameroun a franchi les plus hautes marches du podium grâce aux deux « Jean-Pierre » Dikongué-Pipa pour <<Muna Moto>> (Etalon d’or en 1976), et Bekolo pour <<Les saignantes>> (Etalon d’argent en 2007).
Pour cette 27ème édition, le Cameroun était valablement représenté à Ouagadougou par des productions de haute facture qui ont reçu un accueil critique et populaire considérable:<< Bendskins>> fait figure de proue parmi nos nommés nationaux. Tout premier long métrage du réalisateur Narcisse Wandji, à qui on doit le huis clos déjà récompensé « Walls », le long métrage côtoyait la cime des grosses productions continentales, en compétition dans la catégorie-reine. Une prouesse pour une production qui, comme tous les autres présentes ou non présentes à cette grand-messe du cinéma africain, ont manqué d’un accompagnement criard de la part de l’Etat, au premier chef. Il ne faut pas se leurrer: le contexte dans lequel naissent nos productions, donc les films qui défendent nos couleurs, nos histoires, est à l’opposé de l’armada institutionnel dont disposent les films de beaucoup d’autres pays. Nos équipes et producteurs englués dans leur passion font beaucoup. Ils méritent mieux. Qu’on se le dise, il est grand temps que les mauvaises choses changent. Et quand on le martèle: L’Etat, à travers le MINAC et d’autres structures organisés, a un rôle prépondérant à jouer sur plusieurs plans:
– LA PRODUCTION: mettre en place un dispositif pour accompagner nos productions sur la base de pitches, cohérents, transparents et percutants comme c’est le cas avec l’aide à la presse, et comme ce fut le cas avec le défunt FODIC (Fonds pour le Développement de l’Industrie Cinématographique). Il est inadmissible qu’aucun Fonds National n’y concoure. Instituer un Fonds de Valorisation du patrimoine cinématographique alimenté par des mécanismes financiers précis.
– LA FORMATION: conduire une véritable politique en faveur du cinéma local à travers la création d’une Ecole de cinéma où les métiers divers du 7ème art seront enseignés (et quand je parle de cinéma…je ne parle pas de télévision!). Je doute fort que le Bénin, qui a remporté le prix spécial » Film école de cinéma » ait meilleure matière grise que nous.
– LA PROMOTION: créer une Agence du Film Camerounais pour la promotion de notre cinéma à l’échelle internationale (distribution, marketing, participation dans les festivals, processus de sélection dans les Awards comme les Oscars, les Césars, la Mostra de Venise, Cannes, le Fespaco…).
-LA DIFFUSION: insuffler un cadre légalet réglementaire incitant à une meilleure diffusion des films de tout format (long, court), dans les espaces dédiés (cinémas, télévision, festivals, plein air, communautés…).
– L’EMULATION: accompagner plus fortement les initiatives qui participent à récompenser les valeurs sures, les nouveaux talents, les ateliers, les groupes de travail, les associations…Lui-même présent à la cérémonie de clôture du 27ème Fespaco, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré a déclaré que l’État devait soutenir davantage le cinéma. Une illustration parfaite des enjeux culturels à large spectre.
Néanmoins, on a beau contenir tous les discours pessimistes, complotistes et alarmistes (que je peux comprendre sans soutenir!), le constat est frustrant: le Cameroun rentre (encore bredouille) de ce FESPACO. Cette lapalissade qui sonne comme une vérité crue et amère, doit nous éloigner d’un chauvinisme béant. Les questions, légitimes, fusent de toutes parts:
1) Comment, avec toute la maestria productive, scénaristique, évolutive et technique qui est la nôtre, n´avons-nous pas glané un seul prix, même technique (décor, son, montage, musique…)?
2) Que nous révèle la cinématographie des deux longs métrages récompensés lors des deux dernières éditions du Fespaco? Hier, dans <<Félicité>> (Alain Gomis, Sénégal, 2017), l’histoire de cette femme, chanteuse de cabaret, qui se bat inlassablement pour trouver l’argent nécessaire à l’opération de son fils, victime d’un accident de la route….et aujourd’hui, dans <<La femme du fossoyeur>> (Khadar Ahmed, Somalie, 2021), un fossoyeur, gagnant peu d’argent, qui s’époumonne à sauver sa femme malade pour garder sa famille unie.
3) Nos films 237 en compétition, pourtant véhiculent bien nos images et nos vécus. Mais pour autant, comment n’ont-ils pas suffisamment parlé au jury? Parlent-ils suffisamment à l’Afrique?
4) D’autres films 237, de la partie dite anglophone à l’instar de « THE FISHERMAN´S DIARY » (d´Enah Johnscott), ou de celle dite francophone comme « ENTERRÉS » (de Françoise Ellong), par exemple, auraient-ils eu meilleure fortune au Fespaco? Seul le jury pouvait le savoir.
5) Tant il est vrai que l’essentiel c’est de participer, mais l’intéressant n’est-il pas aussi de gagner quand on choisit de compétir à un festival aussi prestigieux que le Fespaco, l’un des baromètres incontestables et crédibles du cinéma continental? Imaginons simplement ce qu’un Etalon d´or, de plus, ramènerait au Cameroun, à ses cinéastes et à son public. On se doit se poser les bonnes questions, avec lucidité et sans complaisance, en posant un regard froid et prospectif sur notre cinéma que nous aimons tant, à moins de nous contenter de l’autoglorification dans nos espaces locaux et des prébendes à l’international.
Le pays des Dikongué-Pipa, Jean-Pierre Bekolo, Bassek Ba Kobhio, Bbk Bebeka , Cyrille Masso, Frank Thierry Lea Malle , Narcisse Wandji , Simon William Kum , Anurin Nwunembong, Paul « Stevek » Kouonang Kouamo, Enah Johnscott , Cosson Chinepoh , Syndy Emade, Salem Kedy ,Gaby Njonou, Serge Fonda , Jean Marc Anda , Joseph Akama , Steve Kamdeu …mérite toujours mieux. Rien ne peut nous dépasser. Alors, osons davantage, agissons, surpassons-nous. Bravo aux fiers représentants du 237Land à ce 27ème Fespaco. Conjuguez vos efforts et…de l’avant! Dans quelques semaines, à partir du 17 novembre, les #ecransnoirs nous donneront une autre lecture de ce cinéma camerounais qui nous passionne tous. Dans la même lignée, les #LFCAwards, le 18 novembre prochain, nous indiqueront l’indice actuel de nos productions cinématographiques.
Vive le cinéma!